Mon histoire

Sous la lumière éclatante de Djerba, à l'âge de 3 ans en vacances avec mes parents, je me laisse envoûtée par les charmes d'une danseuse orientale, fascinée par ses mouvements fluides, son costume scintillant de mille feux et la beauté de son visage.

Chaque soir après son spectacle, elle me coiffe d'une perruque couronnée de paillettes, et me pare d'une djellaba rose poudrée, brodée de sequins, pour une danse privilégiée dans ses bras. Je me sens comme une reine, je m'imagine alors suivre ses pas.

Ces moments magiques m'inspirent le goût pour les belles robes et me travestir afin d'incarner de nombreux personnages féminins. Je n'ai pas manqué d'honorer un seul mardi gras, tour à tour danseuse du ventre, diseuse de bonne-aventure, cantatrice, princesse, déesse grecque, Cléopâtre, Cruella, la Carmen de Bizet, Marilyn Monroe...

Mon attirance pour les vêtements a été amplifiée par la distinction de ma mère pour qui l'élégance devait être de rigueur au quotidien, marquée par le New Look des années 1950. Je regarde souvent ses photos en noir et blanc de cette époque, j'admire les silhouettes impeccables très stylées, bien qu'elle ait grandi au sein d'une famille pauvre, elle est toujours tirée à quatre épingles, ses vêtement sont confectionnés sur mesure.

Très tôt, je comprends l'impact fort que peut véhiculer une tenue vestimentaire, pour moi c'est un moyen de passer d'une tranche d'âge à une autre. Tout comme le rôle des couleurs, je sens leur force ; ma mère m'habille comme une enfant jusqu'au collège, et considère qu'une enfant ne s'habille pas en noir, cela me frustre car les femmes que je juge les plus chic de ma famille s'habillent en noir, alors c’est toujours un moment d'exception et d'exaltation les noëls et fêtes où ma mère m'offre une petite robe noire. Je n’aime pas être une enfant, très tôt, je veux déjà être une femme, je veux m'approprier tous leurs clichés.

En rentrant de Djerba, je demande à suivre des cours de danse rythmique et apprendre à jouer du piano, comme mon frère. Souvent, j'enfile une jupe à volants et profite d'un moment complice et joyeux avec ma mère qui joue le Marché Persan au piano, et moi qui danse en faisant virevolter ma jupe.

Dès l'enfance, je deviens boulimique d'images, je passe beaucoup de temps le nez dans les livres ; les encyclopédies et les dictionnaires illustrés sont ma Madeleine de Proust. Adolescente, je collectionne des magazines de mode comme Vogue, l'Officiel, 20 ans, puis fidèle à Numéro et Jalouse, aussi j'achète des livres d'art. Je rêve alors de devenir photographe, j'économise mon argent de poche pour faire développer mes pellicules en noir et blanc. J'ai eu mon premier appareil photo à 10 ans, mon regard se pose surtout sur les visages, les attitudes, les yeux. Néanmoins, je m'auto-censure et m'impose des études universitaires en droit à Assas, cursus classique d'une bonne élève éprise de justice alors que mes parents me laissent le champ libre pour choisir ma voie, je ne suis pas encore assez mature pour oser sortir des sentiers battus.

Mon frère medium ne me trouve pas épanouie à la fac et me prédit que je serai styliste, je ne comprends pas ce qu'il me dit, je ne sais même pas ce que c'est qu'être styliste. Je redouble ma 2ème année de droit et bien que j'obtienne lors des examens la meilleure note de ma promo en droit administratif, je sens que je foire le reste des matières, ma sensibilité prend trop de place, si les professeurs ont du charisme, je comprends tout, sinon mon cerveau n'assimile pas les informations. Quelques mois plus tôt, toujours mon appareil photo dans les mains, je contacte une école de photographie à Rennes, quand je découvre le prix de ces études, j'y renonce sans même demander à mes parents, qui n'ont pourtant jamais hésité à me gâter et me faire confiance. La veille des résultats des examens, l'intuition que j'ai échoué me pousse à regarder dans les pages jaunes les écoles dans le domaine artistique, l'école de photographie que je convoitais auparavant ferme sa section photo pour se consacrer à l'audiovisuel, un espoir qui s'efface. Je visite alors une école de stylisme et modélisme sans savoir en quoi consiste cette formation, je suis attirée mystérieusement comme un aimant, tellement emballée par la nouveauté, je me projette enfin dans un univers esthétique à défaut de purement artistique, ce désir qui sommeille secrètement en moi depuis toujours!

Dès que je franchis le seuil de la porte, c'est le coup de foudre, c'est bien cette école que je veux faire ! Les cours ont commencé depuis quinze jours, la formation est onéreuse, j'appelle mes parents, ils disent oui tout de suite, je leur suis toujours aussi reconnaissante. Les débuts ont été très durs, je n'ai jamais fait de couture jusqu'ici, et je ne dessine plus depuis que j'ai 12 ans. Malgré tout, je me sens à ma place tout de suite, enfin quelque chose qui me passionne. Je travaille très tard dans la nuit, moi qui suis tout le temps malade depuis petite, j'ai désormais une santé plus robuste. Ces études à l'école ESMOD est une véritable révélation pour moi, et toutes ces années à feuilleter inlassablement les magazines de mode auparavant m'ont aidé à définir vite mon univers. A la fn de la première année, je fais partie des meilleurs étudiants, une de mes créations apparaît même dans un magazine, quelle fierté !

Cette formation me plaît tellement que ma personnalité change sensiblement, d'introvertie, je deviens extravertie, au point qu'à l'obtention de mon diplôme je signifie à mes professeurs que je reviendrais un jour pour enseigner, et six mois plus tard, c’est l'école qui m'appelle pour que je parte ouvrir une école au Caire.

L'expérience est de courte durée, sur les recommandations du Consulat de France je rentre plus tôt que prévu. J'enchaine ensuite pendant 3 ans diverses expériences dans le secteur de la mode, toujours intéressantes et enrichissantes, seulement, la photographie est toujours en moi, le salariat me pèse, je saute donc le pas pour me professionnaliser, en parallèle, je deviens styliste free lance. Je remporte le premier prix d'un concours de jeune créateur, et gagne ainsi un stand au Salon Who's Next, un autre aux Galeries Lafayette à Paris parmi les grandes marques haut de gamme, ce qui me permet de créer ma marque de vêtements.

Malheureusement les débuts sont difficiles, ma marque ne décolle pas, ça ne me plaît pas d'industrialiser mon produit, le secteur du vêtement ne permet pas d'exprimer ma créativité comme mon cœur l'entend. Je m'obstine alors à ne créer que des modèles uniques qui plaisent beaucoup, sans que cela soit économiquement une bonne solution. Mes consoeurs artisanes me suggèrent donc de créer des robes de mariée sur mesure, j'ai la technique suffisante, seulement cette robe d'un jour ne signifie pas grand chose pour moi, je joue le jeu malgré tout et je finis par y prendre vraiment goût, je découvre le bonheur d'accompagner une femme sur plusieurs mois vers une journée de rêve, c'est tellement d'émotions touchantes lorsque leurs yeux pétillent de joie la première fois que leur silhouette de future mariée apparaît dans le miroir !

Toutefois, je sens que ma créativité ne trouve toujours pas son terrain idéal d'expression. Durant cette période, je fais beaucoup de portraits, et quelques séries de photos de mode, là je m'éclate,

seulement je suis limitée, les mannequins ne sont pas toujours disponibles, il faut les payer. J'opte alors pour une solution 'de secours' hasardeuse, j'enfile une de mes robes, et je me prends en photo au retardateur, je poste sur les réseaux sociaux, le résultat plait beaucoup, de là, je décide de créer tous les vendredis une robe, de me prendre en photo, d'en faire un photomontage pour cacher mon visage et d'envoyer cela par mail et sur les réseaux sociaux, et tout ceci juste en une voire deux heures. Né le concept de la 'robe du week end', ça fait un buzz sur Marseille, quand je sors le soir les gens viennent me voir pour me dire qu'ils attendent toutes les semaines avec impatience cette fameuse robe du week end, jusqu’à ce qu'une galerie d'art me repère sur les réseaux et me propose ma première exposition de photographies et mes premières performances. Ça y est, je sens que je trouve enfin une des pièces majeures de mon grand puzzle !

Dans un premier temps, c’est surtout la performance que j'explore, c’est un terrain de jeu très inspirant qui me relie à mes rêveries d'enfant, parfait pour faire le pont entre mon expérience dans la mode et mon entrée dans le monde de l'art. Mais je n'assume pas mon parcours, j'en fais un complexe, et je me mets à croire que les portes risquent de se fermer facilement parce que je n'ai pas étudié aux Beaux Arts, même si à Marseille, je me lie d'amitié avec beaucoup d'artistes au cursus classique qui me renvoient une bonne image de mon travail.

Des personnalités influentes remarquent mes performances et m'offrent à maintes reprises la possibilité de me mettre en scène lors de grandes expositions auprès d'artistes internationaux célèbres. Malgré tout, le manque de confiance en moi me retient en arrière, j'alimente toutes sortes de pensées enlisantes, comme celle que très peu d'artistes vivent de leur art. Par conséquent, je ne me consacre pas à 100% à l'art, bien que je me sente habitée, je préfère m'assurer un minimum de sécurité en continuant à enseigner l'histoire du costume et le stylisme et créer des robes de mariée sur mesure. Quant à la photographie, c'est pire, je fais un workshop avec un photographe de renom qui me marque pour toujours, seulement j'ai conscience qu'on est des milliers de photographes, pourquoi, moi, je percerais plus qu'un autre ? Je ne cesse de prendre des photos, toujours passionnée, mais sans ambition, comme me résoudre à être 'photographe du dimanche' qui ne vend jamais ses clichés.

Quelques années plus tard, je découvre le développement personnel, et je m'aperçois que j'ai trop souvent regardé le verre à moitié vide, je ne m'étonne plus que mes expériences passées n'aient pas porté les fruits escomptés. C’est une introduction de ce qui va changer ma vie. En 2017, ma mère décède. Alors que nous avons toujours partagé un amour fusionnel, je suis surprise que ce deuil soit si facile, c'est mon premier véritable contact avec la mort, tout me semble familier. Un mois plus tard, c’est mon frère qui quitte notre monde, là, l'épreuve est plus rude, je suis très affectée, je me dédouble, une partie de moi est dans l'accueil de ce grand départ, légère, et une autre souffre. Jusqu'à ce que ce que je rêve très rapidement de mon frère, ça m'apaise, et quelques jours plus tard, je le sens même près de moi, presque de façon holographique, je n’ai pas peur, bien au contraire, l'énergie que je ressens est chaleureuse, enveloppante, incommensurablement aimante. Mon frère était musicien, magnétiseur et medium, c'est pourquoi lorsque je vois sur internet une publicité pour un webinaire sur le magnétisme, je m'inscris aussitôt comme pour lui rendre hommage, nous étions très proches, pour autant nous ne parlions jamais de ces choses là, ça me rendait mal à l'aise. Pendant la conférence, le ressenti du magnétisme dans mes mains est tellement fort que je décide de me former auprès d'une magnétiseuse près de

chez moi. Je comprends vite aussi que je suis medium, je découvre tout un univers autour de l'énergie, de l'ésotérisme, qui m'était inconnu jusqu’ici. J'ai alors 43 ans, je me sens renaître, je ne me suis jamais sentie aussi épanouie. Je suis très curieuse et surtout très assidue, je pratique tous les jours, j’ai la chance que toute ma famille me fasse confiance, tout se développe en moi très vite. Je m'aperçois que c'était déjà inscrit dans mon travail artistique depuis le début, et même que certaines vidéos étaient prémonitoires. Je sens aussi très vite le chamanisme m'appeler, je m'applique alors à insuffler dans mes performances, mes photos et vidéos une touche mystique. Je deviens à nouveau très inspirée et productive.

La période Covid vient remuer mes perspectives artistiques, les galeries d'art et musées ferment, je redoute que ce circuit de l'art ne soit perdu, mais je garde encore espoir, qu'un avenir est possible pour les artistes, jusqu'à m'offrir à nouveau une masterclasse d'un an et demi en photographie, qui me redonne confiance. Alors que j'aboutis une série qui me tient à cœur, intimement liée à mon expérience chamanique, mon appareil photo tombe dans un étang, je passe au-dessus de l'aspect matériel, après tout il y a toujours des solutions, d'ailleurs mon précédent appareil fonctionne toujours très bien, par contre je ne comprends pas le sens de cet incident, je m'obstine à penser qu'il y a un message derrière tout ça. Cela ne m’empêche pas de poursuivre un projet d'édition, je rencontre une éditrice que je connais qui me raconte que les photographes de renom ont le moral au plus bas, ne vendent plus autant de photos qu'avant, c'est une période anxiogène les plongeant dans une angoisse d'un futur incertain. Je me laisse à nouveau prendre par la peur, et commence à reperdre confiance, si les grands n'y arrivent plus comme avant, pourquoi moi je ferais mieux.

Trois moi plus tard, je décide de ne plus être artiste du tout, de tout arrêter, jamais je n'aurais pensé que ça m'arriverait, un espèce de burn-out artistique, même si je me sens heureuse de façon générale dans tous les autres domaines de ma vie, mon cabinet d'énergéticienne fonctionne super bien, par contre, la question de l'artiste devient trop douloureuse, je n'ai jamais vécu cela, je préfère renoncer, sans me sentir lâche pour autant.

Je me sens libérée, mais ce n'est qu'une pause de courte durée et non un arrêt définitif. Deux mois plus tard « l'artiste » réapparait en moi, sous un tout nouveau visage, dans la continuité de mes performances précédentes où je m'habille et me déshabille de façon métaphorique. C’est lors d'une méditation que me vient l'idée de développer cet effeuillage sous un autre angle, de manière plus frontale en proposant des show new burlesques. Je suis excitée par ce nouveau challenge, je fonce sans évaluer tous les paramètres, je découvre au fur et à mesure cet univers, ses avantages et ses inconvénients. Je prends beaucoup de plaisir à me remettre à la couture à créer mes costumes, à préparer mes chorégraphies. J'en teste quelques unes sur les réseaux sociaux, l'accueil est très favorable. J'appréhende toutefois la réaction de mon entourage, de mes amies, des femmes qui me suivent, tout le monde est enthousiaste et m'encourage, personne n'est surpris, aussi ça permet d'approfondir mes questionnements sur le féminisme, le burlesque propose un divertissement qui peut certes être vécu au premier degré, il véhicule aussi beaucoup de messages tant auprès des femmes que des hommes.

J'entraine mon corps tous les jours, j'ai l'habitude de faire du sport, toutefois pas à ce point. Une douleur à la hanche apparaît, selon moi, quand le corps manifeste un dysfonctionnement de

n'importe quel ordre, c’est l'inconscient qui parle. Pourtant j'ai l'impression que ça me porte ce projet, même si j'appréhende le moment où il sera temps de monter sur scène, alors je me demande si je n’ai pas minimisé mes craintes, d'autant plus que je m'aperçois que ce milieu n'est pas si libre que cela, c’est assez codifié, et tous les codes ne me conviennent pas, je ne supporte ni les faux cils, ni les faux-ongles, et encore moins des autocollants chimiques sur ma poitrine. Jusqu'au jour où j'en parle ouvertement avec une amie proche qui sent que j'ai besoin de plus de liberté que ce que je risque de m'imposer. Elle m'emmène voir une exposition au Musée d'Art Moderne de Saint Etienne, consacrée aux artistes femmes. Je suis interpellée par une image des Guerrilla Girls, qui dénoncent que seules 4% des femmes artistes exposent dans les musées. C'est comme-ci je recevais un électro-choc, c’est mon amie qui a raison, pourquoi laisser tomber tout ce que j'ai fait auparavant, il y a encore tant à faire et développer ! J'arrête le burlesque, ma douleur physique disparaît ; je reprends de plus belle mes vidéos, mes peintures et je m'empresse de présenter une nouvelle performance pour fêter ce retour où je me sens motivée comme jamais, tellement heureuse de reprendre et poursuivre cette voie.

Oui je me sens beaucoup plus forte, parce que cette fois-ci je n'ai pas envie d'étouffer certaines facettes de mon univers intérieur. Les strass et paillettes ont désormais autant leur place que mes références chamaniques. Je me sens beaucoup plus alignée sur qui je suis, davantage prête à combiner tous mes paradoxes, mes polarités. Mes vieux complexes ont disparu, je parle librement de la mort, de la mode, de sensualité, de mes expériences ésotériques, je ne scinde pas mes diverses activités, tout est relié autour de mon art. Je dis souvent que la vie n'a de sens que celui qu'on lui donne, mon travail artistique devient à part entière ma raison d'être.

Je me souviens encore de ce moment de découragement, où je n'y croyais plus, ça me paraît impossible aujourd'hui de me couper de moi-même. Aujourd'hui, c'est devenu une telle évidence que je ne peux pas faire autrement que d'être une artiste au quotidien. Mon entourage me sent épanouie et me le fait régulièrement remarquer. Certains me confient qu'ils admirent ma faculté à me réinventer à travers mes œuvres et que ça les inspire pour entreprendre de nouveaux projets. Moi qui ai toujours désiré élargir les horizons et apporter de la beauté dans le cœur des gens avec mon art, je sens par leurs regards posés sur mes œuvres et leurs appréciations que je me rapproche de plus en plus de ce souhait.

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Mes performances artistique // Partie 1

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