LA CONFUSION DES NOIRS

Exposition et performance Caroline Hanny et Toshiro Bishoko

Galerie Karima Célestin (Marseille) 2013

NOIR.

Absence de couleur?

Impossible d’adhérer à cette définition, tant le noir fait partie de ma vie; mon quotidien, m’habiller en noir chaque jour.

Préférence chromatique.

Le/la renier comme couleur, serait me soustraire dans la transparence, l’inexistence…

Enfant, j’avais « accès » au noir, à Noël ou lors du réveillon de la saint sylvestre, une couleur qui m’était presque interdite, dans ma famille, les enfants ne portaient du noir que pour les fêtes de fin d’année,le noir c’est chic, c’est classe, ça fait ressortir les paillettes, la lumière ! Sans oublier les éventuels enterrements.

Par opposition, s’habiller en noir, c’était ‘être femme’, reconnue comme telle, exprimer/assumer sa féminité. Les femmes les plus élégantes de mon entourage s’habillaient en noir, ou tout au moins portaient une jupe noire et un haut de couleur; aux mariages, leurs silhouettes s’harmonisaient toujours avec une touche de noir. Je trouvais que le noir leur donnait une aura toute particulière, fascinante. Je n’avais pas encore conscience du noir comme une couleur quasi snob, quelque peu bourgeoise.

J’ai attendu l’âge de 17 ans pour m’habiller toute en noir pour aller au lycée; je pensais naïvement quitter l’épopée de mon adolescence; déjà je comprenais que le noir évitait les fautes de goûts, et paradoxalement la silhouette en devenant plus sobre se détachait du groupe…

Je suis devenue “addict”, ma chevelure rousse s’est affirmée, le noir était la “couleur” idéale pour révéler la lumière de ma rousseur. Les icônes de mon enfance persistaient à me hanter, je m’obstinais à leur ressembler, ‘faire femme’ à tout prix, classe, chic en toutes circonstances, respectable … à jouer de la confusion du noir, pour faire face à une personnalité à modeler, à construire, utiliser le noir pour se mettre « à part », comme un temps de pause, de réflexion et s’adonner au paradoxe de l’offre de soi et le retrait, que Patrick Mauriès explique ainsi: le noir « est la couleur qui renvoie (…) le corps à lui-même, en l’épousant, le gainant, en accentuant les volumes et les reliefs, tout en les réduisant du même mouvement à un signe, une forme graphique, sans épaisseur, oscillant sans cesse entre la présence et l’absence, l’offre de soi et le retrait, ces deux pôles alternatifs du désir, sans lequel il ne saurait y avoir de mode. »

Le noir, c’est ma liberté d’agir, de penser, ma “carte-pass”, il a traversé mon temps, il m’accompagne à chaque instant, ma pupille, garde robe, accessoires, mascara, yeux surlignés, dessins au feutre noir, création de collections de robes uniques noires, photos de portraits sur fond noir, premières pièces d’art textile sur fond noir….

Dans l’histoire du costume occidental, le noir symbolise des valeur esthétique, éthique, politique, sociale, morale et religieuse a traversé les époques. Il est tour à tour couleur de souveraineté, deuil, révolte, d’appartenance à une communauté, terreur, violence, sobriété, réserve. Le noir s’est réellement inscrit dans l’histoire de la mode en tant que valeur sûre de la mode, révélatrice d’élégance, de liberté, et créativité avec la création de LA PETITE ROBE NOIRE de Coco Chanel en 1926. Coco a bouleversé les codes en utilisant le noir, réservé au deuil et en proposant une petite robe fourreau, droite, sans col, aux manches ¾, simplicité de la ligne qui deviendra jusqu’à nos jours un classique de la garde robe féminine. Les journalistes de l’époque désignent sa petite robe noire comme étant la Ford T de la Mode. Dès lors, il y eut une infinité de propositions de petites robes noires, toutes à la recherche d’un idéal. Bien des créateurs se sont appropriés la petite robe noire à leur manière. Elle devient ainsi intemporelle. Sa richesse réside dans sa capacité de valoriser une courbe, une silhouette, un accessoire, un teint, une chevelure, une allure ! Toutes les femmes ont de l’allure et une certaine élégance en portant une petite robe noire.

Pour cette exposition, je m’interroge sur la confusion des noirs par la mise en scène deLa Petite Robe Noire, je questionne la valeur du noir pour une robe, au sein de la mode, au sein de la société. Je m’interroge sur le regard que chacun porte sur l’individu « vêtu » deLa Petite Robe Noire.je souhaite mettre l’accent sur l’infinie déclinaison de la petite robe noire et m’interroger sur sa durée de vie, son futur. Quand cessera-t-elle d’exister ? La force de son noir perdra-t-il à un moment son élégance ?

La petite robe noire est restée confuse pendant des années pour moi, je ne comprenais pas pourquoi on parlait dans les magazines de mode de« LA »petite robe noire, alors qu’à chaque page shopping ou série mode, plusieurs robes noires étaient proposées, jusqu’au jour où je compris que c’est par abus de langage, que l’on parle dela petite robe noire, comme valeur unique d’élégance et bon goût pour être incontestablement chic,« la »pour désigner un vêtement basic indétrônable, pour renforcer son intemporalité, en référence à la fameuse petite robe noire de Coco Chanel. Confusion, aussi parce quela petite robe noiredistille les couches sociales, d’où une superposition de noir transparent en tulle dans mes oeuvres, différencier les noirs, différentes intensités, jusqu’où le noir devient il “parfait”.

Je conclurai par une citation de Christian Lacroix faisant l’inventaire des étoffes noires : « le noir tendre de la transparence, le noir terne et triste du crêpe de deuil, le noir profond et royal du velours, le noir somptueux du taffetas ou le noir sévère de la faille, le noir fluide du satin, le noir gai et cérémonieux de la laque. En noir, la laine fait penser à du charbon, le coton a l’air rustique, et toutes les nouvelles étoffes semblent pimpantes. »

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